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« Paroles d’objets, Mémoire sacrée »

HISTOIRE

Dans la nuit du 24 au 25 novembre 2011 l’église de GERSTHEIM est totalement détruite par un incendie accidentel. Les illuminations de Noël devant apporter la joie ont, semble-t-il apporté le deuil à toute une population. Quand un sinistre touche un bâtiment public, et à plus forte raison un lieu sacré, c’est toute une mémoire collective qui disparaît en un instant. En effet, un tel édifice accompagne au jour le jour tous les habitants dans leur long voyage de la naissance à la mort, du berceau à la tombe.
En ces murs sont gravées pour chacun des parcelles de leur histoire, des traces indélébiles incisées dans la pierre de génération en génération.

Grâce à Gérard BRAND, mosaïste à Obernai, toutes ces racines à jamais coupées vont pouvoir, à nouveau, un peu se renouer, des liens vont se retisser au travers de son travail.
Prompt à réagir, et heureusement, sinon cette riche moisson aurait pu disparaître dans quelques bennes, il se met rapidement au travail. Mais pour nous qui le connaissons bien ce ne fut pas une surprise. Il a toujours une étape d’avance sur ce chemin où nous le suivons étonnés et émerveillés par tant de réactivité et d’ardeur.

ARCHEOLOGIE

Gérard se met donc rapidement à l’œuvre. Et cela démarre par la collecte des précieux restes dans l’amoncellement des gravats enchevêtrés. La première surprise de l’odeur de brûlé imprégnant profondément la ruine surmontée, il faut se mettre tout de suite au travail et plonger ses mains dans cette masse carbonisée de tuiles, de terre et de poutres entremêlées. Telle une fouille archéologique, strate après strate, le magma livre ses trésors. Bien-sûr pas d’objets intacts, le feu a fait son œuvre, mais du bois calciné, des morceaux de métal tordus  voir fondus, des morceaux de verre provenant des vitraux ceux-ci souvent rejetés à l’extérieur. Et puis d’autres reliques plus fragiles, plus ténues des tissus, des papiers et même un livre à l’intérieur pratiquement intact. Pour permettre de localiser et de nommer ces restes qui sans cela seraient à jamais anonymes il faut tenir compte de photos antérieures au sinistre. Quelques objets très significatifs et moins abîmés que d’autres seront remis au prêtre de la paroisse pour être des témoins de l’histoire de l’église.
Et de ce gigantesque puzzle tout de noir habillé sortira ce qui va devenir la base même de la réalisation des reliquaires qui seront l’aboutissement du travail du mosaïste.

METHODE

Mais avant cela une nécessité impérieuse se prépare dans l’atelier d’Obernai. Tel quel ces centaines de fragments récoltés ne peuvent en aucun cas être utilisés. Un long travail de préparation commence donc. Sécher les livres et les papiers, laver les tissus, brosser les bois carbonisés pour en retrouver le cœur intact et paré d’une belle patine, brosser les pièces métalliques devient un labeur quotidien.
Et chacun de ces vestiges retrouve une nouvelle vie des plus humbles : fils de cuivre, clous, vis, crochets, coulures d’étain, débris de zinc au plus prestigieux : pieds de candélabres, croix, morceaux de grès sculptés, chasubles, linges précieux et livres saints. Après ce nettoyage commence le tri puis la constitution d’une palette, d’un gigantesque nuancier où formes, couleurs et matières seront les critères de sélection et de classement de toutes ces trouvailles.
Commence alors aussi la fabrication des tesselles, pièces de base de toutes mosaïques. Il ne s’agit pas de reconstituer les objets découverts dans leur réalité antérieure. Ils seront découpés, séparés, morcelés pour pouvoir se recomposer à l’infini. Il faut aussi expérimenter, tout de suite, par quelle méthode cet amoncellement de tesselles sera assemblé : collage, coutures en fil de cuivre ou inclusion entre deux plaques de verre. Gérard Brand est un formidable découvreur de techniques qui doivent évoluer en fonction des matériaux de base, on n'assemble pas du papier, des tissus et du verre de la même manière que de la pierre.

C’est par l’adition de petites formes que le mosaïste arrive à la monumentalité. Il s’agit de redonner une nouvelle vie aux objets qui trouveront dans ce nouveau contexte un sens nouveau. On quitte l’habit de l’archéologue pour endosser celui du créateur.

PRINCIPES

Et quels seront les grands principes de ce cheminement ? Quelles simples règles donneront la charpente d’œuvres en devenir ?
Tris types d’objets verront le jour :

  • Des sculptures souvent réalisées à partir de grandes pièces de bois.
  • Les panneaux de format carré, déclinés en plusieurs tailles, renfermant les restes les plus fragiles et les plus rares.
  • Et enfin quelques pièces monumentales qui seront construites à partir des objets les plus nobles retrouvés dans la ruine : restes d’autel, de baptistère.

Et puis une grammaire se met en place. Il faut surtout éviter de tout mélanger, le fouillis n’est pas compréhensible. Il faut parler une langue claire, structurée. Il est nécessaire de faire grand, non par la taille, mais par l’agencement même des formes, des couleurs et des matières. L’accumulation amène au petit et au décoratif. Il ne s’agit pas de faire joli mais de trouver une réalité intangible et sereine. Les travaux seront donc concentrés sur une  ou deux matières, rarement trois : bois et métal, tissus seuls ou métal et papier. Il faut respecter chacun des matériaux et l’accumulation leur ôte le droit à la parole ; on ne les entend plus. Le dialogue se fait donc entre peu de participants pour que chacun puisse s’exprimer totalement.

FINALITE

Tout cela produira donc des objets de mémoire, des reliquaires d’une vie antérieure. Le but n’est pas de retrouver la fonctionnalité première de ces pièces mais bien de les mettre au service de l’expression personnelle de l’artiste.
Ces pièces permettront également aux habitants de Gerstheim de s’approprier une part, même infime, de leur église et à partir de celle-ci d’aller vers un renouveau du sanctuaire qui lui aussi ne  pourra-être que différent de l’ancien. Une petite parcelle authentique à conserver au coin de son cœur, de ses souvenirs, pour figer le chagrin et repartir vers une nouvelle aventure, un nouveau cheminement libéré du souvenir douloureux d’une nuit de novembre.

EVOLUTION

Comment donc se place ce travail dans l’évolution de l’artiste ?
Bien-sûr il n’est pas question d’une rupture mais bien d’une continuation naturelle de l’œuvre.
Sur le plan technique, après le plan, après le mur, Gérard Brand s’est attaqué au volume, à l’espace même. Et cela pouvant aller jusqu’au monumental, il suffit de se rappeler son exposition dans l’église de Rosheim. Mais allons plus loin : une tesselle n’est pas de la mosaïque, deux tesselles assemblées oui. Entre elles existent un lien, un pont les rattachant l’une à l’autre. Dans ses derniers travaux c’est un peu comme s’il voulait, à présent, faire disparaître ce liant. Les tesselles se figeant  sur des supports qui peu à peu disparaissent. Souvent c’est la plaque de verre qui tient lieu de liant et donc par sa transparence permet aux tesselles de s’exprimer, en toute autonomie, loin de toute pesanteur. Et elles jouent les unes par rapport aux autres dans une totale liberté, dans une totale légèreté.
Travail éblouissant, apothéose d’une technique où celle-ci disparaît au profit seul de l’expression. L’artiste est actuellement un virtuose de la mosaïque qui a su progresser, avec acharnement, vers l’arachnéen pour ne plus retenir que la poésie du matériau. Toute pesanteur a disparu, l’aventure est à présent infinie sur l’aile de la légèreté. Passer du mur, du fermé à l’ouvert et à l’aéré est sa grande trouvaille.

Pour suivre son évolution stylistique il faut nous replonger dans ses premières œuvres où l’abstraction était de règle jouant sur de faibles reliefs en de grandes compositions décoratives. Et puis l’Afrique est arrivée et tout son œuvre est irriguée par cette âme tropicale découverte lors de séjours industrieux. Les statues-reliquaires, la mémoire des ancêtres, ces blocs de bois où métal, tissus, clous, miroir se juxtaposent et s’entremêlent pour nous parler de nous-même sont la base  exacte de son travail. Mais, comme toujours, il lui faut dépasser cela, aller plus loin, plus au cœur de son histoire. Avec toujours cette volonté de faire évoluer en parallèle les moyens d’expression et l’expression finale. Ses rêves doivent-être peuplés de personnages étranges, d’êtres mi-homme mi-animal mais aussi de problèmes techniques à résoudre. La liberté absolue de son travail ne repose donc que sur une technique, un savoir-faire à toutes épreuves. Chez lui le « faber », l’artisan n’est jamais loin mais toujours au service d’un esprit fabuleux, d’un conteur inouï qui enchante notre propre imaginaire.

Gérard Brand est un griot qui nous enseigne notre histoire, qui nous évoque nos racines que pour mieux nous pousser vers l’avenir. Il s’agit de ne rien oublier tout en se projetant vers demain.

En cela, ce travail de mémoire sur la catastrophe de Gerstheim est tout à fait emblématique de toute son œuvre. Elle est nourrie de tous ces débris insignifiants de notre passé, ces bouts de chandeliers déformés et fondus, ces lambeaux de tissus sacerdotaux, ces fragments d’autrefois pour mieux nous entraîner dans un univers de rêve et d’apesanteur où nous voguons au gré de son imaginaire.

    Luc Dornstetter